Le long chemin du deuil périnatal : l’histoire de Sylvain

By admin 13 Min Read

Il y a des rencontres qui marquent profondément. Certaines histoires de parents peuvent être particulièrement bouleversantes. En France, environ 7 000 familles sont affectées chaque année par le deuil périnatal. Ce terme désigne la perte d’un enfant durant la grossesse, l’accouchement ou les premiers mois de vie. C’est un sujet encore très tabou, notamment en ce qui concerne l’expérience des pères.

Quand j’ai rencontré Sylvain et qu’il m’a raconté son histoire, j’ai voulu le faire témoigner. Pour aider à briser le silence autour de ce sujet et pour que la société change sa perception du deuil périnatal. Sylvain partage son histoire avec une grande sensibilité et une sincérité touchante. Merci pour ta force, Sylvain.

Une grossesse sous tension

Sylvain, 42 ans, architecte d’intérieur, et Isabelle, 33 ans, éducatrice spécialisée pour enfants autistes, se sont rencontrés il y a dix ans. À cette époque, Sylvain traversait une période difficile en raison de la maladie de son père. Isabelle, par sa douceur, l’a beaucoup aidé. Quelques années plus tard, sous une forte pression professionnelle, Sylvain a souffert d’une dépression et a été hospitalisé pendant deux mois. *J’étais dans un contrôle permanent, trop perfectionniste. Cela m’a fait tomber. Mais Isabelle ne m’a pas abandonné. Elle venait chaque matin à l’hôpital. Cet épisode de nos vies a renforcé encore plus notre couple.*

Le jour de ses 41 ans, Isabelle lui annonce qu’elle est enceinte. Après un moment de stress, Sylvain se réjouit de cette nouvelle. *J’étais très heureux. Je me disais que j’allais pouvoir vivre pleinement désormais. Cette grossesse a nettoyé mes angoisses.* La grossesse se déroule principalement durant la période du Covid-19, ce qui rend les choses compliquées. *Isabelle ne pouvait pas voir ses amis. C’était difficile pour elle. La grossesse se déroulait très bien au niveau physique, mais c’était plus compliqué au niveau psychologique pour elle. Isabelle est une enfant adoptée, la grossesse a fait renaître des souvenirs. Elle avait très peur qu’il se passe quelque chose pour le bébé…*

Cette peur a motivé Sylvain à s’investir pleinement. *Je me suis senti père durant toute la grossesse. Je m’occupais d’Isabelle, de la maison. J’ai créé une nouvelle chambre pour notre futur bébé. Tout était prêt.* À partir du septième mois, les risques de prématurité étant passés, Isabelle se détend. Le couple profite des derniers moments à deux, impatients de rencontrer leur fille, Anaë, dont le prénom signifie *grâce* en hébreu.

Le jour de la perte du bébé

Lors de la dernière échographie, tout semblait aller bien pour le bébé. La naissance était prévue une semaine avant le terme. Trois jours avant la date d’accouchement, début juillet 2020, Isabelle ne sent plus son bébé bouger. Après quelques heures, ils se rendent aux urgences. *Je pense à ce moment encore tous les jours aujourd’hui. Pourtant, sur l’instant, je n’étais pas inquiet.*

À l’hôpital, en pleine crise sanitaire, l’attente est longue. Sylvain doit rester en salle d’attente. *L’infirmière est revenue me chercher. Elle portait son masque. Mais j’ai de suite compris dans son regard qu’il y avait un problème. Elle n’a pas parlé, m’a amené auprès d’Isabelle et est partie en courant. Dans la salle d’examen, Isabelle était debout, nue, seule, le ventre humide avec le gel et le « bip » au sol.*

Elle lui dit qu’ils n’entendent plus le cœur. *Je me suis assis à ses côtés et pour la première fois, je n’ai pas su la rassurer. J’ai pensé à un accouchement en urgence. Le temps d’attente m’a semblé une éternité. Un docteur est finalement arrivé en courant. Il a de nouveau contrôlé le cœur de notre bébé. Il n’y avait aucun mouvement sur la machine. Le docteur ne parlait pas. Il souhaitait que l’on comprenne par nous-mêmes. J’ai fini par lui demander si on pouvait refaire battre le cœur de notre fille. Non. Je me suis évanoui.*

Quand Sylvain revient à lui, il prend Isabelle dans ses bras. *On a ressenti une poussée d’amour très forte entre nous, d’une intensité incroyable. On ne pouvait plus nous séparer. Le docteur est sorti pour nous laisser vivre ce moment.*

Les jours d’après à l’hôpital

L’équipe médicale revient et explique au couple qu’il est souhaitable de procéder à un accouchement naturel dans quelques jours. *Je ne comprenais plus rien. La plus belle chose de ma vie s’était transformée en la plus horrible. Et pourquoi laisser ma femme avec notre bébé mort dans son ventre ?* L’accouchement est programmé trois jours après. L’obstétricienne leur explique que cela leur permet d’accepter le deuil et de prendre le temps d’en parler à deux. *Elle nous parle d’avenir, qu’une césarienne exige d’attendre un an avant de pouvoir faire un nouvel enfant, d’où l’accouchement naturel.* La présence de Sylvain est souhaitée par l’équipe médicale. Sylvain et Isabelle décident de rester à l’hôpital en attendant. Au milieu des cris d’autres bébés venus au monde, des familles heureuses et des félicitations des proches.

En attendant, *pour survivre*, Sylvain décide de passer à l’action. Pour protéger Isabelle des futurs appels et messages, il envoie un SMS à leurs proches :

*Désolé pour la brutalité de ce message, nous avons appris le décès de notre fille… Isabelle, avec un courage extraordinaire ! a accouché à mes côtés. L’équipe formidable nous a permis de prendre Anaë dans nos bras car elle était belle. (Il semblerait que le cordon entourait et serrait notre fille). Isabelle se repose, nous ne regrettons pas d’avoir été jusqu’au bout de la démarche aussi surréaliste qu’elle soit, je prends soin d’Isabelle que j’aime tellement.*

Puis vient le jour de l’accouchement. *Isabelle a été incroyablement forte. Jusqu’à l’arrivée d’Anaë. C’était dur pour Isabelle. Elle avait peur de la dernière poussée. Elle disait « Je ne vais pas l’entendre pleurer ». Les équipes ont accueilli Anaë, l’ont nettoyée et habillée. Et il n’a pas été nécessaire de la maquiller. Ils nous l’ont d’abord présentée de loin. Puis Isabelle l’a prise dans ses bras. Je me suis d’abord reculé. Puis j’ai touché sa jambe. Je l’ai regardée. Mais je n’ai pas su la prendre dans mes bras.* Toujours en mode *survie*, Sylvain s’occupe ensuite des différentes formalités administratives. Il inscrit sa fille sur le livret de famille. S’occupe de l’incinération et du columbarium. *J’ai choisi le plus joli cimetière de notre ville, avec beaucoup d’arbres. Je voulais pouvoir raconter de belles histoires à ma femme…*

Le retour à la maison : papa et deuil périnatal

Sylvain a peu de souvenirs de leur retour à la maison. Il prévient les voisins, les endroits où ils avaient l’habitude d’aller, pour protéger Isabelle des questions. *Je ne voulais pas qu’Isabelle ait à faire face aux questions. Sans cela, je savais qu’elle ne serait pas sortie de chez nous durant de longs mois.* Aujourd’hui, le couple pense à déménager. *Pour changer de lieu, trop chargé en souvenirs…*

Sylvain navigue entre son rôle de père et le deuil périnatal. Sa priorité est de s’occuper de sa femme. *Je pensais que j’allais m’écrouler. Mais cela n’a pas été le cas. Je voulais amener la vie à Isabelle. Alors je me suis forcé à prendre des enfants d’amis dans les bras. Puis j’en étais malade juste après, quand j’étais seul.* Les réseaux sociaux sont aussi difficiles à appréhender pour Sylvain : *Voir les enfants qui grandissent, ceux qui auraient l’âge d’Anaë aujourd’hui, … C’est compliqué encore pour moi aujourd’hui.* Sylvain décide aussi que le couple a besoin de se faire accompagner par un psy spécialisé dans le deuil des enfants.

Deuil périnatal et l’entourage

Au-delà du couple, l’entourage joue un rôle clé dans le deuil périnatal. *Je n’ai pas eu la fierté et la chance d’être pleinement papa. Je n’ai pas eu les félicitations, les pleurs, les cadeaux. Mais la situation est hors norme. Je n’en veux à personne. Si cela m’était arrivé quand j’avais 25 ans, j’en aurai voulu à tout le monde. Là, je comprends. Finalement, ce sont surtout les personnes de 60/70 ans, pleines de sagesse, qui m’ont fait du bien.*

Souvent, l’attention est portée sur la maman, moins sur le papa. *Nos proches s’inquiétaient et soutenaient Isabelle. Et ils me parlaient souvent de sa détresse. Et je le comprends, la souffrance pour la mère est dramatique. Mais on ne pense pas que le papa doit gérer la souffrance de sa femme et la sienne, qui est, elle aussi très forte.*

Sylvain confie sa difficulté à revoir certains amis. *J’ai peur de partager du temps avec des amis qui ont des enfants, c’est encore difficile.* Avec ses parents, la relation a aussi évolué. *Avec mon papa, c’est une relation de père à père. Je le sens fier de comment j’accompagne Isabelle.*

La lente re-construction

La perte d’un enfant impacte forcément le couple. *La mort d’un enfant, ça casse ou ça renforce le couple. Ça le casse dans 70 % des cas. Nous, cela nous a renforcés.* Aujourd’hui Isabelle va mieux. Sylvain, par effet de balancier, commence à flancher. Il connaît bien les signes de la dépression et les reconnaît. Mais il veut faire face et ne pas retomber. *Papa et deuil périnatal, c’est un long chemin… Les psys nous disent que l’on n’avancera pas au même rythme.*

Sylvain avait commencé le faire-part de naissance juste avant le décès de sa fille. Il l’a terminé quelques jours après, mais a décidé de ne l’envoyer que récemment. *Cela me permet de partager ma douleur. Je peux le faire maintenant.* Mais le papa n’est pas encore prêt à tout. *J’ai des photos de ma fille à l’hôpital. Je n’ai pas encore eu le courage d’y aller. Mais je sais que je vais le faire. Bientôt.*

Et maintenant…

Aujourd’hui, le couple souhaite avoir un nouvel enfant. *Ce n’est pas simple, le deuil n’est pas encore fait. Et on sait que la grossesse sera lourde à gérer psychologiquement. En même temps, plus je vieillis, moins j’ai de certitude. Je veux faire confiance en la vie.*

Pour continuer de faire face à cette dualité de père et deuil périnatal, Sylvain a eu besoin, au travers de notre échange, de s’exprimer pleinement sur son histoire. Peut-être rejoindra-t-il plus tard des associations qui aident les parents dans cette épreuve.

Sylvain et Isabelle se rendent régulièrement au cimetière pour voir Anaë. Juste à côté de son emplacement se trouve celui d’Arthur, un petit garçon décédé un mois avant Anaë. Lors de leur dernière visite, une fleur avait été déposée, probablement par les parents d’Arthur. Sylvain se dit qu’il les rencontrera un jour, pour parler de leurs enfants. Car finalement, un enfant ne meurt jamais…

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